La dissimulation de biens en indivision constitue une problématique récurrente dans le contentieux patrimonial. Face à des cohéritiers ou coindivisaires peu scrupuleux qui tentent de soustraire certains actifs au partage, les praticiens du droit doivent maîtriser un arsenal de techniques d’investigation. Les enjeux financiers sont considérables: immeubles non déclarés, comptes bancaires offshore, œuvres d’art, participations sociétaires… Ces actifs occultes peuvent représenter une part substantielle du patrimoine indivis. La recherche judiciaire de ces biens mobilise des mécanismes procéduraux sophistiqués, alliant droit civil, procédure pénale et coopération internationale. Examinons les leviers juridiques permettant de dévoiler l’existence de ces biens dissimulés et d’assurer l’équité du partage.
Fondements juridiques de la recherche de biens en indivision dissimulés
La recherche judiciaire des biens en indivision dissimulés s’appuie sur un socle juridique solide, composé de dispositions issues du Code civil et renforcé par la jurisprudence de la Cour de cassation. L’article 815-8 du Code civil constitue la pierre angulaire de ce dispositif en imposant une obligation de loyauté entre coindivisaires. Cette obligation implique un devoir d’information mutuelle quant à l’existence et la valeur des biens composant l’indivision.
Le recel successoral, défini par l’article 778 du Code civil, sanctionne sévèrement la dissimulation volontaire d’un bien ou d’une valeur dépendant de la succession. La sanction est particulièrement dissuasive puisque le receleur perd tout droit sur le bien dissimulé, tout en restant tenu des dettes afférentes à ce bien. Cette sanction civile peut se doubler de poursuites pénales sur le fondement de l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal).
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions a renforcé les moyens d’action contre la dissimulation de biens, en précisant notamment que le recel peut être constitué par l’omission volontaire d’un bien dans l’inventaire successoral. Cette réforme a facilité la caractérisation du recel, la jurisprudence ayant confirmé qu’une simple abstention peut suffire à le constituer, dès lors qu’elle est intentionnelle.
La prescription de l’action en recel successoral suit le régime de droit commun, soit cinq ans à compter de la découverte du recel (article 2224 du Code civil). Toutefois, la Cour de cassation a précisé que cette prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où les cohéritiers ont eu connaissance de la dissimulation, ce qui peut considérablement étendre le délai d’action.
Les conventions internationales complètent ce dispositif pour les biens situés à l’étranger. La Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, ainsi que les multiples conventions fiscales bilatérales, offrent des outils précieux pour lever le voile sur des montages offshore utilisés pour dissimuler des actifs indivis.
- Article 815-8 du Code civil : Obligation de loyauté entre coindivisaires
- Article 778 du Code civil : Définition et sanction du recel successoral
- Article 2224 du Code civil : Prescription quinquennale à compter de la découverte
- Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 : Élargissement de la notion de recel
Évolution jurisprudentielle récente
La Cour de cassation a progressivement étendu le champ d’application du recel. Dans un arrêt du 15 avril 2021, la première chambre civile a considéré que le fait pour un indivisaire de ne pas révéler l’existence d’une assurance-vie dont il était bénéficiaire pouvait constituer un recel, dès lors que les primes versées provenaient de fonds communs. Cette décision marque une avancée significative dans la protection des coindivisaires contre les dissimulations sophistiquées.
Stratégies d’investigation pour détecter les biens dissimulés
La détection des biens dissimulés nécessite une méthodologie rigoureuse et l’utilisation d’outils d’investigation adaptés. La première étape consiste généralement à réaliser un audit patrimonial complet permettant d’identifier les incohérences dans le patrimoine connu de l’indivision.
L’analyse des flux financiers constitue un levier d’investigation particulièrement efficace. Les mouvements bancaires suspects, notamment les virements vers des comptes inconnus ou les retraits d’espèces importants peu avant l’ouverture d’une succession, peuvent révéler l’existence de biens dissimulés. La recherche doit s’étendre aux comptes à l’étranger, particulièrement dans les juridictions réputées peu coopératives en matière fiscale.
Le fichier FICOBA (Fichier national des comptes bancaires et assimilés) permet d’identifier l’ensemble des comptes détenus par un indivisaire auprès des établissements bancaires français. Depuis 2016, son accès a été facilité pour les notaires chargés du règlement d’une succession, ce qui constitue un atout majeur dans la recherche de biens dissimulés. De même, le fichier FICOVIE recense l’ensemble des contrats d’assurance-vie souscrits en France.
Pour les biens immobiliers, la consultation du fichier immobilier tenu par les services de la publicité foncière permet de recenser l’ensemble des droits réels immobiliers détenus par un indivisaire sur le territoire national. Cette recherche peut être complétée par l’exploitation des données cadastrales et des registres hypothécaires.
Les participations sociétaires cachées peuvent être détectées par la consultation du registre du commerce et des sociétés (RCS), du registre des bénéficiaires effectifs (RBE) institué par l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ainsi que des publications légales. Ces recherches permettent d’identifier les sociétés dans lesquelles l’indivisaire détient des parts, directement ou via des structures interposées.
Pour les biens situés à l’étranger, le recours aux mécanismes d’entraide judiciaire internationale s’avère indispensable. Le règlement européen n° 1206/2001 du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale offre un cadre procédural efficace pour les investigations transfrontalières au sein de l’Union européenne.
- Audit patrimonial et analyse des flux financiers
- Consultation des fichiers FICOBA, FICOVIE et du fichier immobilier
- Exploitation des registres sociétaires (RCS, RBE)
- Recours à l’entraide judiciaire internationale
Utilisation des nouvelles technologies d’investigation
Les outils numériques ont révolutionné les méthodes d’investigation patrimoniale. L’analyse des métadonnées contenues dans les documents électroniques peut révéler des informations précieuses sur leur origine et leur auteur. Les logiciels d’intelligence artificielle permettent désormais d’analyser rapidement des volumes considérables de données financières pour détecter des schémas suspects ou des anomalies révélatrices de dissimulations.
Procédures judiciaires mobilisables pour révéler les actifs cachés
Face à la suspicion de biens dissimulés, plusieurs voies procédurales s’offrent aux coindivisaires lésés. La plus commune est l’action en partage judiciaire prévue par l’article 840 du Code civil, qui permet de solliciter la désignation d’un notaire chargé d’établir un inventaire exhaustif des biens indivis.
Dans ce cadre, le juge aux affaires familiales, devenu compétent depuis la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 pour connaître des actions relatives aux indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, peut ordonner toutes mesures d’instruction nécessaires à la manifestation de la vérité.
L’article 145 du Code de procédure civile offre un outil précieux avec le référé in futurum, qui permet d’obtenir, avant tout procès, la conservation ou l’établissement de preuves desquelles pourrait dépendre la solution d’un litige. Cette procédure autorise notamment la désignation d’un huissier de justice pour procéder à des constatations dans des locaux où pourraient se trouver des biens dissimulés, ou d’un expert-comptable pour analyser des documents financiers.
La saisie conservatoire prévue par les articles L. 511-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution constitue une arme efficace pour prévenir la disparition de biens identifiés mais menacés de détournement. Elle peut être ordonnée par le juge de l’exécution dès lors qu’il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement d’une créance, ce qui est souvent le cas en matière d’indivision conflictuelle.
Pour les situations les plus graves, la voie pénale peut être empruntée, notamment sur le fondement de l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal) ou du recel (article 321-1). L’avantage majeur de cette stratégie réside dans les pouvoirs d’investigation étendus dont disposent les officiers de police judiciaire et le juge d’instruction, qui peuvent procéder à des perquisitions, des saisies de documents ou ordonner des expertises.
En matière internationale, le règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux facilite l’exécution des décisions concernant les biens des époux situés dans différents États membres de l’Union européenne.
- Action en partage judiciaire (article 840 du Code civil)
- Référé in futurum (article 145 du Code de procédure civile)
- Saisie conservatoire (articles L. 511-1 et suivants du CPCE)
- Plainte pénale pour abus de confiance ou recel
Mesures d’instruction spécifiques aux biens numériques
Les actifs numériques (cryptomonnaies, NFT, etc.) posent des défis particuliers en termes d’investigation. La Cour de cassation a reconnu dans un arrêt du 26 février 2020 que les cryptomonnaies constituaient des biens saisissables, ouvrant la voie à des mesures d’instruction spécifiques. La désignation d’un expert en informatique peut permettre d’identifier l’existence de portefeuilles numériques (wallets) ou de transactions en cryptomonnaies dissimulées par un indivisaire.
Rôle des professionnels du droit et des experts dans la traque des biens cachés
La recherche de biens dissimulés mobilise différents professionnels dont les compétences se complètent pour former une chaîne d’investigation efficace. L’avocat joue un rôle central en définissant la stratégie judiciaire, en rédigeant les actes de procédure et en coordonnant les actions des autres intervenants.
Le notaire dispose de prérogatives essentielles dans l’établissement de l’inventaire successoral. Depuis la loi du 23 juin 2006, il peut obtenir directement des informations auprès des établissements bancaires sans que le secret professionnel ne lui soit opposable (article L. 151 A du Livre des procédures fiscales). Il peut solliciter la communication des relevés de compte du défunt ou de l’indivisaire suspecté de dissimulation.
Les huissiers de justice peuvent effectuer des constats probatoires sur la présence de biens mobiliers dans des locaux, ou procéder à des inventaires contradictoires. Leur intervention garantit l’authenticité des constatations effectuées et leur recevabilité devant les juridictions.
Les experts-comptables et commissaires aux comptes apportent leur expertise technique dans l’analyse des flux financiers et des documents comptables. Ils peuvent détecter des anomalies révélatrices de détournements, comme des facturations fictives, des sous-évaluations d’actifs ou des conventions réglementées non déclarées.
Les détectives privés, bien que leurs investigations soient encadrées par des limites strictes, peuvent recueillir des informations précieuses sur le train de vie d’un indivisaire ou sur la localisation de biens mobiliers. La jurisprudence admet la recevabilité des preuves ainsi obtenues, sous réserve qu’elles aient été collectées de manière loyale et sans violation de la vie privée (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 5 avril 2012).
Pour les biens situés à l’étranger, le recours à des cabinets d’avocats locaux s’avère souvent indispensable. Ces professionnels maîtrisent les spécificités juridiques locales et peuvent activer les procédures adéquates pour obtenir des informations sur place. La coordination entre les avocats de différentes juridictions constitue un facteur clé de succès dans les investigations transfrontalières.
Les généalogistes peuvent contribuer à l’identification d’héritiers dissimulés ou de branches successorales occultées, révélant parfois l’existence de biens dont les autres indivisaires ignoraient l’existence. Leur expertise en matière de recherche d’archives et de reconstitution de lignées familiales peut s’avérer déterminante dans des successions complexes.
- Avocat : définition de la stratégie judiciaire et coordination
- Notaire : accès privilégié aux informations bancaires
- Experts-comptables : analyse des flux financiers suspects
- Huissiers : constatations probatoires
- Généalogistes : identification d’héritiers ou de branches familiales dissimulés
Synergies interdisciplinaires et équipes d’investigation
Les affaires complexes nécessitent la constitution d’équipes pluridisciplinaires où chaque professionnel apporte son expertise spécifique. La communication entre ces différents acteurs doit être soigneusement organisée pour garantir l’efficacité des investigations tout en préservant le secret professionnel. Des plateformes numériques sécurisées de partage d’informations peuvent faciliter cette collaboration tout en maintenant la confidentialité nécessaire.
Perspectives pratiques et solutions innovantes pour déjouer les stratégies de dissimulation
Face à l’ingéniosité croissante des stratagèmes de dissimulation, les méthodes d’investigation doivent constamment évoluer. L’avènement des registres centralisés de bénéficiaires effectifs dans le cadre de la lutte contre le blanchiment offre de nouvelles perspectives pour identifier les ayants droit économiques de structures sociétaires complexes utilisées pour dissimuler des biens.
La directive européenne 2018/843 du 30 mai 2018 (5e directive anti-blanchiment) a renforcé la transparence des structures juridiques en imposant l’identification des bénéficiaires effectifs des trusts, fondations et constructions juridiques similaires. Ces dispositions, transposées en droit français par l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020, constituent un levier précieux pour lever le voile sur des montages offshore sophistiqués.
L’échange automatique d’informations fiscales mis en place sous l’égide de l’OCDE depuis 2017 permet désormais d’obtenir des informations sur les comptes bancaires détenus à l’étranger par des résidents fiscaux français. Ce dispositif, qui concerne plus de 100 juridictions, a considérablement réduit les possibilités de dissimulation d’actifs financiers dans les paradis fiscaux traditionnels.
La technologie blockchain offre des perspectives intéressantes pour tracer l’origine et les transferts de biens de valeur. Si elle peut être utilisée à des fins de dissimulation via les cryptomonnaies, elle peut également servir d’outil de transparence grâce à l’immuabilité des registres qu’elle génère. Certaines legaltechs développent des solutions permettant d’exploiter cette technologie pour sécuriser les inventaires successoraux et garantir leur exhaustivité.
Les techniques d’open source intelligence (OSINT) permettent d’exploiter les informations publiquement disponibles sur internet pour détecter des signes extérieurs de richesse incompatibles avec le patrimoine déclaré. L’analyse des réseaux sociaux, des sites de vente aux enchères ou des plateformes immobilières peut révéler l’existence de biens luxueux non déclarés dans l’indivision.
Pour les œuvres d’art, souvent utilisées comme réceptacles de valeur discrets, les bases de données spécialisées comme Artprice ou le Art Loss Register peuvent aider à identifier des pièces de collection dissimulées. La coopération avec les maisons de ventes aux enchères et les galeries d’art peut également s’avérer fructueuse.
- Exploitation des registres centralisés de bénéficiaires effectifs
- Utilisation de l’échange automatique d’informations fiscales
- Techniques d’open source intelligence (OSINT)
- Coopération avec les acteurs du marché de l’art
Cas pratique : Déjouer une dissimulation via une structure offshore
Un cas typique de dissimulation implique le transfert de biens indivis vers une société offshore détenue par un trust dont le bénéficiaire économique est l’indivisaire dissimulateur. Pour déjouer ce montage, une approche combinée peut être mise en œuvre :
1. Analyse des flux financiers pour identifier les transferts suspects vers l’étranger
2. Consultation du registre des bénéficiaires effectifs dans la juridiction concernée
3. Demande d’entraide judiciaire internationale pour obtenir des informations sur la structure offshore
4. Exploitation des données issues de l’échange automatique d’informations fiscales
5. Saisie conservatoire des biens identifiés pour prévenir leur disparition
Cette méthodologie a été validée par la jurisprudence récente, notamment dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mars 2022 qui a reconnu l’existence d’un recel successoral dans un cas similaire, ordonnant la réintégration dans l’actif successoral des biens transférés à une structure offshore contrôlée indirectement par l’un des héritiers.
L’évolution des techniques de dissimulation appelle une vigilance constante et une adaptation permanente des méthodes d’investigation. La formation continue des professionnels du droit aux enjeux numériques et internationaux du patrimoine constitue un facteur déterminant dans l’efficacité de la lutte contre la dissimulation de biens en indivision.

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